Journal de bord

JDB180323. Des fois, j’oublie.

Des fois, j’oublie.
J’oublie qui je suis et ce qui m’intéresse vraiment dans la vie.
J’oublie aussi que je n’ai pas vraiment de temps à perdre avec ce qui ne m’intéresse pas vraiment ; et pas non plus de temps à perdre à tenter de performer qui je ne suis pas.

Quand j’oublie, qui je suis et comment je veux occuper le peu de temps de vie qui m’a été aloué sur cette planète, tous les indicateurs au tableau de bord de ma santé mentale tombent dans le rouge. Souvent, je mets un certain temps à m’en rendre compte, essentiellement parce qu’en tant que femme, on m’a bien inculqué que ma souffrance psychique est une bonne preuve que je fais bien la part de labeur de performance genrée qui assure ma sécurité dans le monde pervers et violent des hommes.

Le choix est ainsi : vivre souillée par le sang, la boue et la sueur de la lutte dans les tranchées du féminisme, sous les balles incessantes de ceux qui veulent continuer à bander d’avoir les femmes à leur botte, prêts à toutes les violences pour nous y condamner, ou : capituler. L’assurance d’une vie de servitude, que le libéralisme nous vend comme volontaire afin que les multinationales de la performance de genre en tirent les meilleurs profits, mais dont la carotte, flottante dans la cage dorée, est bien la tranquillité.

Ce monde de domination ne sait pas foutre la paix aux dissidents. Eh, des fois qu’ils donneraient des idées d’émancipation aux autres ! Ça serait bien un drame de ne plus pouvoir manipuler les foules par la propagande à tous les étages. Ah, c’est vrai, merde… en ultra-libéralisme on appelle ça du lobbying, c’est vrai.

Des fois j’oublie.

J’oublie que je m’en fous de tout ça. J’oublie qu’à chaque fois que je pense à ma fin, qu’un jour je vais mourrir et que je ne sais rien de cette expérience car tous ceux qui savent ne peuvent pas nous en parler, je panique. Je ne panique pas parce que je ne sais rien de cette expérience. Je panique comme quelqu’un qui doit aller prendre son train en gare dans 1h au lieu de 5 parce qu’elle a mal lu l’horaire de son billet, et qui se rend compte que rien est prêt, l’appart n’est pas rangé, la valise n’est pas prête, les poubelles pas sorties, le bouquin de bord de piscine n’est pas choisi. Et j’oublie que dans ces moments là, on ne pense pas aux autres passagers, s’ils sont en retard eux aussi, quel canard ils ont embarqué pour le voyage, si tout le monde a bien sa petite collation. Dans ces moments là, je ne panique que pour moi. Parce que j’ai beau prendre le train avec d’autres, mon expérience du voyage m’est unique, et qu’au terminus, je descendrai du train seule face à moi meme.

Des fois, j’oublie.

J’oublie que désormais, chaque jour de mon existence vient m’apporter, comme le vent apporte des fois l’odeur nauséabonde de la station d’épuration locale, des gens qui voudraient que je sois comme ils veulent eux, et non comme je suis moi. Je me demande vraiment ce qui leur passe par la tête, et quelle légitimité ils se donnent pour se donner le droit d’exiger quoi que ce soit de ma part. Je me retrouve souvent à m’émerveiller qu’il s’agit pourtant des meme gens qui font circuler la rumeur que la narcissique, c’est moi. Moi qui pourtant n’exige rien d’autre d’autrui qu’il me foute la paix a laquelle j’ai droit. Des fois j’oublie qu’il existe des gens dont la passion est de faire en sorte que, de la paix, je n’en ai pas. J’oublie qu’il existe des êtres si triste, si souffrant, qu’ils ne trouvent de plaisir et de soulagement que dans la violence. J’oublie, parce que sinon, j’ai vraiment mal à mon humanité.

Des fois, j’oublie qui je suis, mais quand je me retrouve, c’est comme redécouvrir un coffre à trésor dans le grenier. A travers chaque souvenir, je finis par passer un moment incroyable avec ma meilleure amie. Elle s’appelle Mathilde, et elle a 10 ans, 15 ans, 20 ans, 30 ans et l’âge d’aujourd’hui aussi. C’est elle qui a découverte qu’on était intello, qu’on était musiciennes, qu’on était bricoleuses. C’est elle qui nous as mis sur le divan d’un psy pour que je trouve l’écoute, le soin et la guérison que je méritais. C’est elle qui, quand les vagues de haine font rage contre mes falaises, me fait poser le téléphone en me disant :  » tu as pas une chanson à écrire, plutôt ? ». C’est elle qui me rappelle de ne pas gâcher mon temps parce que « eh, j’ai le brouillon de deux romans et 4 pièces de théâtre hein, donc faudrait vraiment qu’on s’y mette si on veut pas se résoudre à une publication postume ! ». C’est elle qui me console de mes peurs quand je reçois des menaces de violences et de mort, mais aussi elle qui me dit qu’on est jamais trop prudentes et qu’il est toujours possible de se procurer un poing américain, à défaut d’un service d’ordre coûteux. C’est elle qui me rappelle que coudre, crocheter et tricoter sont plus salutaire et important pour moi qu’interagir avec bon nombre de gens qui ne méritent ni mon temps ni mon attention. C’est elle qui m’apprend à transformer la haine des autres en art à moi. C’est elle qui me rappelle qu’on aime aller marcher seule avec Suzette dans les chemins et les forêts. C’est elle qui me rappelle que la vue sur la Vallée depuis la colline du Menoux vaut plus que des milliers de mots bileux sur internet. C’est elle qui me rappelle le bonheur de porter des capes, de fabriquer du savon, de recycler du papier, de transformer des enrobages de babybels en bougie. C’est elle qui me rappelle la sensation apaisante du pétrissage du pain, de la confiture qui craquette dans le fait-tout – signe qu’elle est prête, de l’odeur des yaourts qui figent, de la pâte à pâtes dans le laminoir.
C’est elle qui me rappelle les émotions des concerts, la transe du chant, la victoire d’une composition tout juste terminée.

Mais des fois, vraiment, j’oublie.

J’oublie que, dans ce voyage vers la mort, il n’y aura finalement qu’elle dont les décisions, aspirations et ambitions auront compté. J’oublie que, dans ce voyage vers la mort, seule une vie bien remplie, de plaisirs, de beauté, de joie, d’amour, d’amitiés, de victoires, de foi, de courage, la rendront méritante d’avoir été vécue. Aux portes de la mort, je ne saurais trouver de fierté dans le fait que j’aurai bien capitulé. Que je me serai bien conformée. Que j’aurai bien obéis aux désirs et attentes des autres. Que j’aurai bien joué le rôle qu’on attendait de moi. Que je ne me serai donc jamais rencontrée, jamais découverte. Que j’aurai fait passer désirabilité sociale avant authenticité personnelle. Que j’aurai priorisé la vanité, nourrie des compliments d’autrui sur ma capacité à ne pas être moi, plutôt que l’affirmation de ma propre personne au prix difficile des railleries, de la calomnie et de la violence.

J’oublie trop souvent qu’aux portes de la mort, je ne voudrai rien de tout ça. J’oublie trop souvent que la haine des autres ne concerne qu’eux. L’amour des autre, aussi ! Mais lui est doux comme le miel, et comme le miel, il répare les brûlures de ceux qui m’assaillent de leur venin acide. J’oublie rarement, mais, quand même aussi, bien trop souvent, que les gens qui m’aiment sont plus important que ceux qui me haïssent, et que ce sont eux qui feront que je ne regretterai pas de mourir, car j’aurai connu la douceur de leur cœur, en retour de la douceur du mien. 

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