Journal de bord

JDB170122. Jour sans.

L’idée m’est venue en sortant Suzette, et je sais pas trop pourquoi. Y’a beaucoup de choses dans la vie qui apparaissent dans mon cerveau sans que je sache trop pourquoi. Tenir un journal de bord. Ne serais-ce que pour maintenir à flot ma santé mentale mise à mal par ces deux années terribles, couronnant presque une quarantaine d’années toutes aussi rudes les unes que les autres. Tenir un journal de bord. Ne serais-ce que comme une bouteille à la mer des gens, histoire de dire qu’on est touste dans la même galère. On est toustes taillé·e·s dans la même toile.
Tenir un journal de bord pour tenir. Juste tenir.

Aujourd’hui était un jour sans. Jour de règles, troisième du nom. Horrible. Horrible depuis 3 semaines, ovulation de la mort, spm de compétition, et maintenant, menstrue du diable. Je déteste mon corps, et je suis au bord de la crise dysphorique à chaque instant. La lutte pour la maintenir à bonne distance est constante, et je peux pas dire que ça se passe bien.

J’ai mal dormi, encore. Y’a 3 jours, j’ai réveillé ma mère avec une de mes terreurs nocturnes. Putains de traumas. Chuis en colère, chuis tellement en colère contre tous ces connards et ces sournoises, et les cicatrices qu’ielles m’ont laissé. Je suis en colère d’être toujours en convalescence psy, et d’emmerder mes parents avec ça. Colère, colère, colère.
Chuis en colère aussi parce que ce matin, je découvre qu’un mec a abusé de ma gentillesse, une fois encore. Il a prétendu soutenir mon travail, a reçu un gage de ma part, puis a retiré son soutien, gage en poche. C’était insubstantiel à l’échelle de l’univers, mais j’en peux quand même plus de ce genre d’enflures. Les ordinaires comme les particulières. J’en peux plus de devoir partager cette planète avec eux. J’en peux plus qu’on me demande de porter la charge mentale d’anticiper leur malhonnêteté, leur cupidité, leur mesquinerie.

Aujourd’hui, c’était une journée de lutte. De lutte pour choisir le vivant.
J’ai emmené Suzette en balade à travers l’hiver, et j’ai trouvé du réconfort dans le brouillard et les arbres givrés. Je me suis rappelé Fantasia, et les jolies délicates petites fées qui glacent le lac en patinant dessus. Il faisait froid, et ça m’a fait du bien. J’aime le froid. C’est contenant, le froid. Si je pouvais, j’irai vivre dans un endroit où il fait froid tout le temps, comme quand j’habitais à Londres. Passé 18° j’ai juste envie de mourrir. On dirait que j’exagère comme ça, mais non. Avoir chaud me colle de l’anxiété à balle. Hyperesthésie. Overload sensoriel. Bienvenue sur le spectre.

Aujourd’hui était une lutte. Et pas parce que y’avait le meeting des camarades à Nantes. J’ai pas pu le regarder. J’avais passé la journée à pleurer par intermittence, la crise d’angoisse au bord de la peau, j’étais pas prête à ressentir des émotions. Quelle qu’elles soient. J’ai vu passer des tweets, et c’était déjà trop. Quand j’overload, toutes les émotions sont dans le même panier, bonnes ou mauvaises. Un peu comme quand tu mélanges toutes les couleurs de pâte à modeler et que tu te retrouves avec un gros blob marron dégueulasse, and there’s no turning back.
Avant, j’aurais bypassé ça x1000. Je me serais raisonnée, forcée. But quelques années de thérapie et de pleine conscience plus tard, I know better. Du coup j’ai stimmé, avec le stim le plus familier, concret et gratifiant à ma portée : j’ai cuit du riz japonais pour faire des makis. La cuisine, c’est que du sûr : si tu chauffes de l’eau, elle bout. Si tu mets du riz dans de l’eau qui bout, il cuit. Si tu le roule dans des feuilles d’algues, tu mangeras des bouchées délicieuse trempée dans la sauce soja. J’adore la sauce soja.
J’ai cuisiné en écoutant Stephen Fry me raconter Harry, Ron, Hermione, Dumbledore et cette immondice de Doloress Umbridge, si bien écrite, si terrifiante. Je me retappe la série car, « Hogwarts will always be there to welcome me home ». Merci Jo. Merci du fond du coeur.

Je me suis aussi rendue compte aujourd’hui que je suis suivie par 33500 personnes à travers les réseaux. J’ai eu peur. C’est beaucoup de gens. Si j’avais tous ces gens en face de moi d’un coup, je pense que je ne saurais pas comment gérer. C’est beaucoup de gens. Après, j’ai multiplié ces gens par 3. Car si chacune de ces personnes participait à mon Patreon à la hauteur du prix de départ de 3€ par mois, on lèverait mensuellement la somme de 100500€. C’est beaucoup de sous. Je me suis dit qu’il y a des gens qui gagnent ça par mois pour de vrai. J’ai commencé à me demander comment on dépense une telle somme. La minimaliste en quête de déconsommation en moi a eu la nausée. Et puis je me suis demandée ce que je ferais moi avec un fric pareil si vraiment tout le monde qui me suit décidait vraiment de me soutenir à hauteur de 3 petits euros par mois.
En roulant mes makis, Harry Potter in english dans les oreilles, j’ai commencé à dépensé mes 100.000 balles mensuelles fictives. J’ai réglé mes dettes et crédits, j’ai racheté un violoncelle, acheté une baraque à mes parents, j’ai racheté du matos pour créer du contenu et être autosuffisante logistiquement, dont un ordi sur lequel Logic et Final Cut ne planteraient pas toutes les 10 minutes – that’s the dream. J’ai acheté le camping car de mes rêves et l’ai custom jusqu’à la gueule pour pouvoir y vivre en autonomie énergétique au MAX. J’ai fait des dons maousse à des associations, j’ai financé des centaines de bateaux pour aller secourir les réfugiés en mer et des lieux pour les accueillir, j’ai acheté des immeubles partout en France pour y créer des béguinages d’artistes féministes, j’ai embauché et donné du travail à des meufs badasses, j’ai acheté un terrain en Bretagne et y ai implanté une entreprise qui trouve des solutions de recyclage pour tout. J’ai monté un média digital qui fait des vidéos géniales et des podcasts archi interessants, politiques, philo, socio, psycho, art. J’ai monté un label, produit des meufs ouffissime, ouvert une salle de spectacle 100% progra féminine. J’ai monté une maison d’édition, ai sorti mon premier roman, publié des tas d’ouvrages d’autrices incroyables. J’ai financé des milliers de maisons d’accueil de victimes de violences conjugales… et là, j’ai pleuré.
Je me suis rappelé que les gens qui avaient 100.000 balles par mois, ils étaient pas dans le même mood que moi, à vouloir vivre en minimaliste dans un van, à dépenser le moins possible et avoir le plus petit impact écologique sur la planète, et utiliser tous leurs sous pour réparer le monde. Non, les gens qui gagnent 100.000 balles par moi, ils se branlent la nouille avec, et mourront étouffés dans cet argent qui n’aura jamais été pour eux qu’un maître à servir et sucer jusqu’à la moelle, plutôt qu’un outil de construction d’un monde meilleur et de vivre ensemble plus juste et équitable.
Dégoût.
Jour sans.

J’ai pleuré au téléphone avec mon chéri, parce que j’arrivais pas à passer outre cette journée, mutique dans mes larmes, et donc en plus culpabilisant de gâcher notre temps précieux.
J’ai raccroché, j’ai croisé 2/3 tweets et j’ai pleuré d’entendre le Méluche parler de la terre, de la mer et de l’espace dans des petits extraits de son discours me rendant compte simultanément du paysage politique terrorisant en face de nous. Les ultra libéraux sans âme à la solde du capital, la droite raciste, les néonazis, la gauche molle, la primaire populaire (comprendre sondage lobbyiste) qui sort du bois sur ses intentions, les cocos qui perdent pied sous l’éboulement Roussel, la grande guilde des bourgeois qui bandent devant la fiction Taubira…
Dégoût.
Jour sans.

J’ai pleuré parce que les gens et leurs bassesses me mettent en colère. J’ai pleuré parce que je suis triste que le monde meurt chaque jour un peu plus, comme moi. J’ai pleuré parce que j’ai peur pour l’avenir. J’ai pleuré parce que je suis fatiguée de ces angoisses incessantes.
Surcharge.
Shut down.
Jour sans.

Mais bon. Les makis étaient délicieux, eux.
Au moins y’a eu ça.
Et ma Suzette.

Peinture illustrative : « Tired » de Ramon Casas

(3 commentaires)

  1. Je lis, et je me dis…put*** c’est moi.
    sauf pour les makis. Je préfère le thé ou les chips. Et ma Suzette à moi fait 600 kilo de cheval. Au moins, lui s’en fout si je pleure et mouche sur son poil.
    Je lis et je vois bouillonner ma colère que quelqu’un d’autre que moi encaisse tout ça. Injustice lisse et commune. Intégrée au paysages de nos vies.
    Et bouillonner l’empathie. De dire  » je comprends tellement, jusqu’au plus profond des entrailles « .
    Jour sans et jour sang .
    Tenir.
    Tenir encore.
    Merci pour ce journal de bord. Courage, tenir le cap, contre le vent des autres, et contre nous parfois.
    Je t’envoie une énorme cargaison de douceur, de compréhension et de force.

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  2. Mathilde, il y a bien longtemps, quand vous avez sorti votre album, je vous avais dit que je l’écoutais en revenant de l’hôpital psychiatrique pour enfants de la Salpêtrière, et que cela faisait un bien fou au père meurtri et perdu que j’étais à l’époque. Nous ne savions pas ce qu’il avait, maladie ou pas, autisme ou pas. Les psychiatres ont cherché et ils ont trouvé. Mon fils a tout simplement 176 de QI. Le couple que nous formions avec ma compagne a explosé face à cette épreuve, mais nous avons su garder la même complicité. Quant à mon fils, il a presque 18 aujourd’hui, passionné d’informatique (bien entendu) et de plus en plus confiance en lui les années passant.
    Voilà Mathilde, le petit garçon du HP de la Salpêtrière s’en est sorti. Il est toujours sous mon aile et il va bien.
    Et moi j’écoute toujours votre merveilleuse voix me dire que vous nous aimez, tous.
    Bonne journée à vous.
    Thierry

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    1. Thierry ! Comme je suis émue de ce message. Merci de ce partage qui me touche ! Ah la douance… nous autres dits « zèbres », on nous fantasme superhéros mais dieu que le monde est inadapté à nos cerveaux surbranchés et aux cables en pagaille. Je pense fort à vous toustes, et vous envoie plein de tendresse ❤

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