Hier soir avait lieu, sur Twitter, un débat très enrichissant entre gros•ses à propos d’une vidéo qui nous a tou•te•s plus ou moins interpellé•e•s. Je dis plus ou moins, parce que nos réactions étaient très variées, de la nonchalance à la colère en passant par l’incompréhension ou la justification.
Personnellement, j’étais en rogne sévère de tant de clichés grossophobes, en plus déblaterés sous couvert de body-positivité. Vous savez ? Les gens qui vous blessent, vous descendent, vous stigmatisent même, mais « pour ton bien », alors ça paaaaaasse… « Mais elle a juste été maladroite », m’a-t-on dit. Ah bah, et pas qu’un peu !! Mais même si ça peut éventuellement expliquer, ça n’excuse rien, car on est toujours responsable des paroles qu’on a prononcées, aussi maladroites soient-elles, et peut-être même encore plus quand on les publie sur une plateforme comme YouTube.
Pour que ce billet ait du sens, il vous faut avoir vu également cette vidéo. Du coup, je suis obligée de l’inclure. Ça me fait chier, parce que je la trouve d’une agressivité passive finalement assez violente pour les gros.
Voilà voilà… * génance *
Mais pour ceux – nul n’est plus aveugle que celui qui refuse de voir – qui penseraient encore que c’est booooon, ça vaaaaa, c’est pas méchaaaaant, laissez-moi disséquer cette vidéo pour en révéler la violence de sa grossophobie ordinaire.
1/ Le cas de la vignette où gros = animal.
Il est monnaie courante, chez les grossophobes, de comparer les gros à des animaux pour les déhumaniser, et ainsi faciliter moralement la possibilité de leur harcèlement ou stigmatisation. Truie, vache, baleine, le règne animal en prend pour son grade en même temps que nous, mais je n’avais personnellement jamais encore vu de comparaison des gros aux singes, insulte usuellement et bien malheureusement plus répandue chez les racistes que chez les grossophobes.
Egalement, l’animalisation de la terminologie usitée pour se référer aux gros est souvent justifiée par ceux qui l’utilisent (pour se dédouaner facilement) comme relevant de l’humour ; humour qui, on le devinera aisément, ne fait pas vraiment rire les gros. Le propos insultant pour faire rire au dépend d’une personne s’apparente infiniment plus à de la moquerie, qui elle n’a jamais fait plaisir à sa cible et relève plutôt de la cruauté que de l’humour.
Notons que la comparaison des gros•ses aux singes revient également dans la vidéo même, à 0’19 & 1’24.
Il existe sur la toile, de très belles photos de corps gros, qu’il s’agisse de mannequins grande taille posant pour des magazines, ou de photo artistiques. Pourquoi avoir illustré le concept de grosseur avec un animal plutôt qu’avec une REELLE personne grosse ?
Notons également, dans l’extrait à 1’24, la récupération du mot « gros » comme auto-identification de la personne qui parle (et des gens semblables à elle même, « nous »), alors qu’elle correspond à la norme des standards corporels de beauté & de désirabilité sociale :
Cette récupération constante par les personnes normées du mot « gros » comme adjectif les définissant eux en fausse le sens, et ne fait qu’alimenter le culte de la minceur extrême.
2/ L’acceptation de la RONDE, OK, mais pas de la « vraie » GROSSE !
A 0’35, phrase fatidique :
Arrêtons-nous quelques instant sur cette phrase. Laissons-la remplir notre bouche. Ça laisse un goût bizarre, non ? Cette amertume que vous sentez sur vos papille, c’est la grossophobie. Et bien sûr que cette phrase est grossophobe : sous l’apparence de vouloir te rassurer sur ton corps, elle stigmatise ceux qui sont plus gros que toi ou tout simplement vraiment gros… et donc qui seraient systématiquement des « gros boudins ». Elle pointe du doigts les autres et les rabaisse pour que tu te sentes mieux dans ton corps, parce que toi, heureusement, t’es pas comme eux quand même ! (COMBLE : Ce même processus est pourtant dénoncé plus loin dans la vidéo, alors que la YouTubeuse vient elle même de l’employer !!). Body-positivité ? Je ne crois pas. La body-positivité, c’est inviter chaque personne à se sentir légitime d’exister et de vivre dans son corps, quel qu’il soit – même dans un corps malade (on va y revenir plus tard). ET PAS SEULEMENT DANS UN 36 :
3/ LE RAPPORT AU CORPS, DEFINI PAR LA TAILLE DE PANTALON.
Se référer à la taille 36 quand on parle de body-positivité, c’est à la fois risible, et dangereux. Ça pose la base du 36 comme étant la taille standard et désirable de n’importe quel corps. Au lieu de justement libérer le corps des femmes (et des hommes, mais dont le système de taille diffère de celui de femmes) de ces standards – ceux-là même qui empêchent toute body-positivité – ça perpétue la standardisation systémique de la minceur comme étant la référence de toute mesure physique, le point zéro de l’échelle d’évaluation corporelle ‘moderne’. « Où suis-je par rapport au 36 ? », et plus on s’en éloigne, plus on est stigmatisé et notre acceptation malgré les diktats délégitimés.
Le culte de la minceur extrême a tellement distendu notre vision du corps de la femme qu’on pense être grosse à partir du 42 (alors que les Européennes par exemple, font en moyenne du 44/46), et trop souvent, on associe notre beauté, notre intérêt, notre valeur, à la taille de nos fringues.
4/ C’est ton IMC qui décide de ton droit, OU PAS, A te sentir bien dans ta peau !
Quand j’ai vu la vidéo pour la première fois, ça, ça a été le coup de grâce :
Donc quoi, il y a des restrictions pour aimer son corps, c’est ça ? Passé un certain IMC, tu es dans le devoir de ne pas l’aimer, et de te sentir mal dedans ? C’est pas DU TOUT un message de body-positivité, ça !
Si l’IMC peut donner des informations à ton médecin quant à d’éventuels suivis de santé à faire – et qui donc ne concernent PERSONNE d’autre que vous deux – il ne décide en RIEN de ta manière d’envisager ton corps, d’y vivre sereinement, de ton envie (quand ton corps t’offre le luxe de ce choix) éventuelle de le changer ou non.
Aussi, je voudrais aller un peu loin. Opposons un instant le cas d’un corps souffrant d’obésité à, par exemple, un corps souffrant d’un cancer. Ça ne viendrait à l’idée de PERSONNE de juger le corps d’un malade du cancer ! Au pire de sa forme, on ne viendrait jamais le harceler indélicatement, en lui disant qu’il l’a bien mérité parce que, eh, qu’est-ce que t’as fumé, hein, t’as que ce que tu mérites, en fait. Il y a même des malades qui refusent tout traitement, et on les laisse tranquille, parce que c’est leur vie, et que donc, c’est leur mort – et ils bénéficient même d’une certaine admiration pour ce courage qu’ils ont de faire face sereinement à leur propre finitude.
Le corps souffrant d’obésité lui, même s’il l’est pour raison médicales, sera toujours stigmatisé et décrié de prime abord, sans autre forme de procès. Mate le gros ! Ah… T’as du diabète… Ou ou cholestérol… Bah écoute, t’avais qu’à pas manger toutes ces merdes, aussi ! Je suis sûre que c’est parce que t’as trop ou mal bouffé… et tant de préjugés dont seuls les maladies qui rendent gros héritent bien malgré elles.
Mais comme un corps malade du cancer peut être accepté avec sérénité par celui ou celle qui y vit, pourquoi ne pas laisser les obèses, peu importe les raisons de leur surpoids, être sereins dans leurs corps également ?
5/ Si t’es gros, c’est forcement parce que tu manges mal !
Le POMPON total. La preuve ultime que cette YouTubeuse ne connait pas son sujet et ne s’est pas spécialement renseignée correctement avant de se poser devant l’écran, même si, pour se dédouaner à nouveau, elle précise bien que ça ne vise pas « les maladies » qui rendent gros. Cependant, c’est faire radicalement fi de la nature même des corps, dont certains profitent simplement plus de ce qu’ils mangent que d’autres ! C’est mettre au même plan une personne d’1m50 et une autre de 2m, un squelette fin et un squelette lourd, ou encore s’assoir complètement sur les différences de morphologies évidentes entre les être, et auxquelles, sauf chirurgie esthétique invasive, on ne peut faire grand chose.
Mais c’est surtout surfer sur la vague grossophobe qui affirme la même chose : si t’es gros, c’est parce que tu manges trop, ou que tu manges que des merdes. Cette vague porte aussi particulièrement le fumet nauséabond du mépris de classe (devenu si ordinaire), car il est de notoriété publique que ce sont les couches les moins aisées de la population qui sont le moins à même de se nourrir de produits sains, et donc d’avoir une alimentation équilibrée ( = la ruine) qui apporte les nutriments essentiels à un corps en bonne santé.
Le scoop du siècle, c’est surtout qu’il y a plein de gros qui mangent très équilibré, et qui sont très actifs, et plein de minces avec du cholesterol au plafond ou des maladies cardiaques (pourtant maladies de gros!), ou qui sont des grosses faignasses qui font jamais d’exercice. Il y a aussi des gros qui se trouvent pas si gros que ça et des minces qui se trouvent éternellement fat. Et, sur-scoop, si un gros à envie de manger une pizza, sauf contre-indication médicale (et encore, il fait bien ce qu’il veut), et bien… qu’il se fasse plaiz’ et qu’il la mange !
Aussi, plus sérieusement, il ne faut pas oublier que perpétuer ce cliché grossophobe quant à la bouffe aggrave également les risques de troubles alimentaires chez les personnes les plus fragiles.
POUR CONCLURE
Je veux croire, je choisis de croire, que l’intention de cette vidéo était bonne, et qu’il ne s’agit juste que de maladresses successives de la part de quelqu’un qui ne s’est simplement pas assez penché sur le sujet du rapport au corps de TOUS les formats de gros•ses (quitte à exploser quelques unes de ses propres idées reçues), et qui n’a pas réfléchi à la portée de certains de ses propos. Franchement, ça arrive.
Le problème, c’est qu’au final, cette vidéo ne fait que conforter et confirmer aux non-gros qu’ils ne sont bel et bien pas gros – OUF, dis donc – en opposition aux vrais gros, qui eux, sont des « gros boudins » qui ne peuvent pas se sentir bien dans leur peau à cause de leur IMC. Je résume un peu, mais pas tant que ça.
Et c’est bien dommage, parce que le postulat de départ était pourtant prometteur.
FAIL.
Cela dit, ça confirme bien que l’enfer de la grossophobie ordinaire, ce sont les idées reçues, et qu’on intègre tous sans s’en rendre vraiment compte, venues de partout : des lobbys de santé et de l’agroalimentaire, des diktats affichés de la mode moderne, des images subliminales de la pub et des médias…
Mais surtout reçues de notre bon vieux patriarcat indéboulonnable, qui tente de nous manipuler à grand renfort de désirabilité sociale systémique.
Je le proclame à nouveau de tout mon être :
La LUTTE CONTRE LA GROSSOPHOBIE
EST UNE LUTTE FEMINISTE.
Les velléités de notre société de contrôler le corps des femmes, d’obséder les femmes avec leurs corps plutôt que leurs têtes, de leur inculquer que plaire, à tout prix, et seulement avec ses attributs physiques, vaut mieux qu’être émancipée et libre, sont autant de truchements machistes pour maintenir en place notre patriarcat et sa violence décomplexée (dont, comble ultime, même les hommes souffrent).
S’il est une seule chose dont cette vidéo en question et cette tentative de sensibilisation à la grossophobie ordinaire m’ont convaincue, c’est que c’est aux GROS, aux VRAIS, de parler d’eux-même à présent ! Il est grand temps qu’ils témoignent de la vérité de leur quotidien, des détails comme de l’ensemble, du bon comme du mauvais, qu’ils donnent un autre son de cloche, intime et véritable, le leur, pour ne plus laisser aux autres, non-gros et normés, la parole de vérité qui leur revient à eux.
Et je crois, oui, que j’apporterai très bientôt ma pierre à cet ediffice.
❤
Mon dieu mais merci! Cette vidéo m’a sidéré, elle est maladroite, mal renseignée, n’avance rien au chmilblique, bref du grand n’importe quoi.. Si seulement Nad Richard pouvait lire ton article
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Ohla je ne sais pas si elle aimerait. C’est pas facile pour tout le monde de voir en face tout ce que notre système pourri nous inculque malgré nous, et à quel point on peut reproduire ses schéma, comme ça, sans trop s’en rendre compte.
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Il est vrai 😥 malheureusement les gens ont tendance aussi à avoir un peu de mal à prendre du recul vis à vis d’eux mêmes et de leurs idées reçues! C’est dommage
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