Quand j’étais petite, à Pâques, souvent on « descendait » à Argenton avec mes mamies, Mamie Michèle ma grande mère et Mamie Nenette mon arrière grand mère. On partait d’Austerlitz, qui me paraissait immense à l’époque, et je me souviens que je trouvais déjà la fresque très moche, mais que mes Mamies, elles, étaient toujours très belles, très élégantes, même pour voyager.
Dans le train où nous étions souvent dans un compartiment avec des sièges oranges et des rideaux plissés marronasses, nous passions mon petit frère et moi le trajet à lire Pif Gadget et Mickey Magazine, et à se chamailler pour les joujoux qui venaient avec. Pour le goûter, nos mamies préparaient souvent des sandwiches à la rosette avec du pain tranché un peu sec que Papi Dédé avait acheté chez Ed, et qu’elles avaient soigneusement emballé dans du papier d’aluminium. La croûte à la fois dure et élastique mettait nos quenottes et gencives d’enfant à rude épreuve. La rosette, elle, glissait à cause du beurre.
Mamie Michèle de temps en temps allait fumer dans le couloir, et achetait des cafés au vendeur ambulant. J’adorais ces tasses bizarres.
Presque arrivés, on s’activait et on se préparait dans le dernier tunnel avant notre arrêt, celui duquel le train sort directement sur l’aqueduc au dessus de La Bouzanne, et on se dépêchait de se préparer pour ne pas rater la vue. Encore aujourd’hui, quand je vais chez mes parents à Argenton, je me prépare dans le tunnel, et je ne veux pas rater la vue.
A la gare, c’est souvent Tata Danou qui venait nous chercher avec sa voiture, mais des fois, elle prenait celle de Tonton Philippe, que je préférais parce qu’elle était trop belle. Je crois que c’était une Déesse.
En Berry, on mange une spécialité, le pâté de Pâques, et c’était le clou des vacances. Depuis, comme c’est si bon que tout le monde veut en manger aussi le reste de l’année, c’est devenu le « Pâté Berrichon ». Mais il est meilleur à Pâques.
Toutes les femmes de la famille s’affairaient à le cuisiner « comme Mamie Nenette », ou à en trouver un aussi bon dans le commerce. Impossible ! Parce que c’était le meilleur, celui de Mamie Nenette. Elle faisait la pâte feuilletée elle-même, et elle n’avait pas peur de goûter la viande crue pour voir si elle était assaisonnée correctement. Ça m’impressionnait vachement.
Mamie Nenette, elle nous donnait aussi à manger des nougats, des pastilles vichy, et des anis de Flavigny depuis leurs jolies boites.
Mathias et moi allions chercher des oeufs dans le jardin de tata Danou, et on allait aussi « réveiller Pascal » . Et c’était drôlement chouette !
Je n’avais aucune idée de ce qui se passait, ni vraiment pourquoi on était là, mais j’adorais l’odeur de l’église. J’aime toujours ça même si je n’y mets plus les pieds que pour les visiter. L’encens, la bougie… et puis les rituels qu’on ne comprend pas quand on est gosse mais qui nous fascinent de tant de folklore. Les chants, les habits. Et puis en plus, c’était le soir, la nuit même !, alors qu’on aurait du être au lit… Réveiller Pascal, c’était la fête ultime.
J’ai effectivement grandi dans une éducation chrétienne, mais finalement, pas spécialement catho. Dans la famille, on mange pas tous d’hosties le dimanche, on fait pas le carême, on mange pas tout le temps maigre le vendredi, tout le monde ne croit pas même pas forcément en Dieu, et quand ils croient, ce n’est même pas le même pour tout le monde. Mais, étrangement, on essaie tous tant bien que mal de pratiquer ensemble la spiritualité du message des écritures : partager, pardonner, aimer…
Aujourd’hui, j’ai 31 ans. Papi Dédé et Mamie Nenette veillent sur moi depuis les étoiles infinies du cosmos. Ma famille, elle, est en train de manger du pâté de Pâques chez ma maman, qu’elle a fait elle-même avec mon parrain Péyo, et je sais qu’en le mangeant, ils se poseront comme chaque année la question de savoir s’il est « comme celui de Mamie Nenette ». Et moi cette année, comme de nombreuses années, je n’ai pas pu « descendre à Argenton » les retrouver, parce que le travail a ses impératifs que la mélancolie ne connait que trop.
Pour me consoler, mon amoureux m’a offert un oeuf de Pâques, et je pense qu’on va le dévorer ensemble après dîner devant le replay du The Voice d’hier soir. Pour me consoler aussi, ma maman m’a fait un pâté de Pâques rien que pour moi qu’elle a mis au congélateur pour « quand tu viendras, ma chérie ».
Ça me rend triste et heureuse à la fois.
Mais je me console aussi moi-même, car Pâques, chaque année, me rappelle qu’au delà des chocolats, il faut que je relise les évangiles, tout comme chaque ramadan me rappelle qu’au delà des pâtisseries délicieuses je dois relire le Coran, ou tout comme chaque printemps me rappelle de relire le Tao sous les arbres en fleur.
Toutes les fêtes, de toutes les religions, me rappellent de nourrir ma spiritualité, ma tolérance, mon amour, ma compréhension de l’âme, des hommes, de la vie, des traditions, les miennes, et celles des autres. De reconnecter avec ma famille, mes amis, les voir, les appeler, leur écrire.
Alors que vous célébriez Pâques ou pas, je vous envoie de l’amour aujourd’hui, en espérant que vous soyez vous aussi nourris de partage, de spiritualité, et bien sûr, de chocolats 🙂
Joyeuses Pâques à tous,
❤
Tu me fais chialer…
Et bon, ben il n’était pas aussi bon que celui de Mamie Nénette, cette année encore… La prochaine, peut-être…
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Qu’il est beau votre message Mathilde qu’on doit se répéter chaque jour, même un 2 octobre ! Quant à votre amour du chocolat, s’il n’est pas exclusif aux Mathilde (loin s’en faut), sachez que ma fille, Mathilde, 4 ans et demi, m’a demandée à être débaptisée cette semaine: elle souhaite désormais être appelée CHO.CO.LAT 😉
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